Avertissement:
Chers amis blogueurs, je tiens à vous mettre en garde. Cet article va être particulièrement long, un peu à la manière de ce que fait mon pote Barbudo, si vous voyez le genre. Alors si la politique vous fait royalement chier, passez votre chemin. Vous risqueriez de mourir dans d'atroces souffrances avant la fin. Quant à ceux qui seraient pro-américains, ça vaut mieux qu'ils ne lisent pas ça.
Alors bon, comment tout ça a commencé? Ah oui, je me rappelle. C'était un midi rien de plus banal au resto de la Fac. Le repas typique avec Xavier qui parlait de cul et de politique, le tout savamment mélangé et agrémenté de cris stridents et de rires tonitruants. La discution vira ensuite sur le terrain de la religion. Et là, ce bougre me révéla une chose assez flippante. Il avait lu quelque part qu'un coup d'Etat évangélique se préparait au Guatemala. J'étais quelque peu interloqué par ce qu'il me disait, d'autant qu'il n'arrivait pas trop à m'en dire plus car sa connaissance de l'Amérique Latine est assez limitée. Du coup, je décidai de faire mes propres recherches sur le sujet. Et là, je me rendis compte de mon ignorance à propos d'un phénomène qui touche massivement l'ensemble du continent américain. A propos des sources que j'ai utilisé pour réaliser cet article, je tiens à mentionner l'excellent numéro de Courrier International sur "Les fous de Jésus, les évangéliques à la conquête du monde". J'ai aussi été sur le site du réseau de solidarité avec l'Amérique Latine (risal.collectifs.net), que je vous conseille vivement pour ses brillantes analyses des phénomènes socio-politiques sur le continent américain. Vous pouvez constater que j'ai fait un certain travail d'investigation avant d'écrire cet article. Je ne suis pas de ceux qui parlent sans savoir. Référence à une certaine personne d'obédience castriste qui raconte des inepties sur la situation à Cuba. Mais rentrons maintenant dans le vif du sujet.
En fait, je vais partir du témoignage de 2 routards français qui ont traversé tout le continent américain du nord au sud. Voilà ce qu'ils racontent sur leur passage au Guatemala :
"Après de longues heures de route à travers le sud mexicain, nous arrivons à la frontière avec le Guatemala en fin de journée. Les policiers sont nombreux. Cela est sans doute dû à la situation explosive (sic) au Chiapas. Ils vérifient nos passeports avec leur amabilité légendaire, puis ils nous laissent poursuivre notre chemin. Nous roulons jusqu'à la tombée de la nuit et décidons de nous arrêter dans la petite ville de La Mesilla. Pour quelques quetzals (la monnaie guatémaltèque), nous obtenons une chambre dans une petite auberge traditionnelle. On nous sert du Jocòn, ce plat typique à base de poulet, de tomate et de piments. Pour faciliter la digestion, on décide d'aller se coucher.
Après une bonne nuit de sommeil, nous reprenons la route au petit matin. On roule toujours sur la Panaméricaine, en direction du sud. On passe près de Huehuetenango qui est perchée à environ 1800m d'altitude. Les paysages sont magnifiques. Vers midi, nous arrivons dans le département de Solòla. Nous appercevons les cîmes des volcans qui bordent le lac Atitlan (voir photo ci-dessus). Bientôt, le lac nous apparaît dans toute sa splendeur. Nous croisons de nombreux indiens mayas qui portent des sortes de ballots de paille. On s'arrête au bord du lac Atitlan pour se restaurer. Devant la beauté du site, Stéphane me propose de passer la journée ici pour en profiter pleinement. J'accepte volontiers. Nous mettons nos montures en sécurité et partons faire un peu de randonnée dans les hauteurs environnantes. Nous rencontrons un randonneur canadien très sympatique. Il se joint à nous. Alors que nous marchons tranquillement sur un petit sentier escarpé, une intense clameur nous parvient. Cela ressemble à l'appel à la prière d'un muezzin. On se croirait à La Mecque. La surprise est totale. Notre ami canadien nous explique que ce sont les haut-parleurs d'une église évangélique. Il nous dit qu'il y en a dans tous les villages mayas de la région. Des groupes de fidèles nord-américains arrivent du jour au lendemain dans un village isolé et construisent aussitôt une église. Ils convertissent les populations autochtones en mettant en scène des miracles spectaculaires. Certains pasteurs font croire à des guérisons miraculeuses alors qu'ils utilisent des médicaments très courants, mais inconnus de ces populations qui se soignent encore souvent avec des plantes médicinales et des incantations. Alors que notre canadien nous raconte tout ça, d'autres clameurs s'élèvent depuis les bords du lac. Il semblerait que les églises des différents villages se répondent. On baigne vraiment dans une atmosphère surréaliste. Les hauts-parleurs finissent par se taire au bout d'une bonne heure. Notre compagnon nous dit que c'est plutôt rare à ce moment de la journée. D'habitude, les églises commencent à débiter leurs litanies en début de soirée. Parfois, cela peut durer toute la nuit. Nous poursuivons notre randonnée, un peu troublés, et redescendons sur les bords du lac avant le coucher du soleil. Cette nuit, nous dormirons dans nos bons vieux sacs de couchage. Heureusement pour nous, les hauts-parleurs évangéliques resteront muets, cette fois."
Voilà. J'arrête là la trancription du commentaire car après c'est moins intéressant. Ils poursuivent juste leur chemin vers la capitale, Guatemala Ciudad, avant de rejoindre le Honduras. Mais je trouve que ce passage est très intéressant car il sent le vécu. Ca donne une bonne idée de la force de pénétration de l'évangélisme nord-américain dans les pays d'Amérique Centrale. En fait, le Guatemala est un exemple très révélateur. C'est le pays d'Amérique Latine le plus touché. On compte environ 30% de la population guatémaltèque qui se réclame d'une des nombreuses églises évangéliques répertoriées. Et dans cette masse de convertis, il y a une grosse majorité d'"indigènes". Ce sont les descendants du peuple maya-quiche. Les évangéliques (et non "évangélistes" car le mot vient de l'anglais "evangelicals") exploitent leur crédulité et prospèrent sur la misère de ces populations. N'oublions pas que les autochtones avaient déjà subi une évangélisation forcée de la part des conquistadors espagnols. Autrement dit, l'histoire se répète. La religion est encore une fois mise au service d'une entreprise de domination et d'exploitation des faibles. Toutefois, les fiers descendants des Mayas n'ont jamais complètement délaissé leurs croyances ancestrales. Ils les ont mélangées à la foi catholique, le Dieu Jaguar cotoyant sans problème le Christ. Mais avec l'évangélisme protestant, les croyances et la culture de leurs ancêtres semblent vouer à disparaître. Dans leurs prêches enflammés, les pasteurs s'en prennent sans distinction au catholicisme et aux rituels mayas. Des lieux de culte sont régulièrement sacagés et des personnes agressées parce qu'elles refusent d'adhérer à telle ou telle église évangélique.
Mais quelle est la véritable influence des évangéliques dans le pays? En fait, à travers mes recherches, j'ai découvert que leur implantation n'était pas nouvelle. Tout a commencé dans les années 1970. Après le terrible tremblement de terre de 1976, des pasteurs américains sont venu prêcher au Guatemala. Tout en apportant une importante aide logistique aux victimes, ils ont clamé que cette catastrophe était une punition divine, notamment parce que les Guatémaltèques s'étaient laissés séduire par l'idéologie diabolique du communisme. Et oui, on était en pleine Guerre Froide et les Yankees étaient particulièrement inquiets de la prolifération des mouvements révolutionnaires en Amérique Latine. Déjà en 1954, au Guatemala, la CIA avait monté une opération pour renverser le colonel Jacobo Arbenz, accusé de nuire aux intérêts des Etats-Unis. ll faut dire qu'il avait entrepris une réforme agraire qui remettait en cause le quasi-monopole de la puissante United Fruit Company. Le Che, qui assista à l'événement en direct, en tira la leçon qui s'imposait. La lutte armée était la seule issue possible. Toute tentative de réforme pacifique serait tuée dans l'oeuf. Pourtant, si l'intervention armée était souvent une bonne solution pour les Américains, elle s'avérait parfois inéfficace et contre-productive. L'échec de la Baie des Cochons fit réfléchir les experts en stratégie contre-révolutionnaire. Sans renoncer complétement à leurs anciennes méthodes (renversement par la force d'Allende au Chili, par exemple), ils mirent au point une stratégie plus subtile. Il s'agissait de pénétrer culturellement les sociétés latino-américaines. Les Américains visaient la conquête des esprits. Dans cette optique, l'évangélisme protestant fut une arme redoutable. Au Guatemala, profitant d'une catastrophe naturelle, les sectes de toutes sortes proliférèrent. Cela allait des Témoins de Jéhovah aux Mormons. Les évangéliques s'appuyèrent sur des méthodes psychologiques particulières. Aujourd'hui, les mass media sont le plus puissant relai de leur prosélytisme. Mais surtout, ils bénéficient d'un appui financier considérable. L'évangélisation entreprise dans les années 1970 ne tarda pas à porter ses fruits. Les évangéliques s'infiltrèrent dans la sphère politique. En 1982, le général Rios Montt, membre de l'Eglise du Verbe de Dieu, accéda au pouvoir par un coup d'Etat. Reagan s'empressa de saluer le nouveau chef d'Etat guatémaltèque. Il le présenta comme "un homme d'une grande intégrité". On a vu ensuite ce que ça a donnée. Rios Montt mit en place une répression impitoyable à l'égard des opposants politiques. Les populations indiennes furent les principales victimes de sa cruauté. Les organisations de défense des droits de l'Homme estiment à 200000 le nombre de personnes mortes durant la vague de répression brutale des années 1980. Le général Rios Montt était allé tellement loin que même les Américains s'offusquèrent de ses méthodes. Sur ce sujet, je recommande de lire l'ouvrage de Rigoberta Menchù (Prix Nobel de la paix en 1996) qui raconte comment les escadrons de la mort torturèrent son frère sur la place de son village. C'est tout simplement révoltant. Pendant cette période, les évangéliques purent donner libre cours à leur volonté de contrôle de la population. Par une intense propagande, ils s'efforcèrent d'éradiquer la théologie de la Libération (forme de catholicisme social marxisant jouissant d'une grande popularité en Amérique Latine). En 1991, un autre président évangélique, Jorge Serrano, accéda au pouvoir au Guatemala. Il appartenait à l'Eglise Shaddaï. Mais l'opposition de gauche n'était pas morte. Finalement, un accord de paix fut signé en 1996 entre le gouvernement et la guérilla. Cela mettait fin à près de 30 ans de guerre civile dans le pays. Pour autant, le Guatemala n'en a pas fini avec l'impérialisme du grand-frère américain. Les évangéliques sont plus puissants que jamais. Leur nombre ne cesse de croître, à tel point que dans quelques années le catholicisme sera devenu minoritaire dans le pays. Les pasteurs locaux, appuyés par de véritables multinationales religieuses, convertissent à tours de bras. Leurs cibles privilégiées sont les indiens vivant dans la pauvreté, souvent alcooliques et coupés de leur milieu familial. Les évangéliques tiennent les rouages de l'économie et de la politique. On a même vu le général Rios Montt se présenter aux élections présidentielles de 2003. Encore heureux qu'il n'ait pas été élu. Aujourd'hui, l'évangélisme est le cheval de Troie du libéralisme économique en Amérique Latine. En effet, si le Guatemala est le pays le plus touché, le phénomène concerne l'ensemble des pays latino-américains. Les églises évangéliques sont particulièrement puissantes en Equateur, au Pérou, en Argentine et surtout au Brésil. Ce pays est d'ailleurs le 2ème pays évangélique au monde, derrière les Etats-Unis. Leur poids est si important que Lula a dû flatter cet électorat pour être élu à la présidence. Au Mexique, ce sont les Légionnaires du Christ qui exercent une influence considérable sur le pays. Ils parviennent à convertir des indiens du Chiapas, ce qui entraîne des tensions avec les zapatistes. Les Etats-Unis financent bien sûr toutes ces églises. Le président Bush, qui se présente comme un "born again", soutient cette forme d'intégrisme chrétien. L'entreprise d'évangélisation s'appuie surtout sur la CONELA (Confraternidad Evangelica Latino-Americana) créée en 1982. Il s'agit là d'un réseau d'évangéliques anti-catholiques et anti-communistes. Elle est affiliée à la World Evangelical Association des Etats-Unis. La plupart du temps, les Etats d'Amérique Latine sont très indulgents face à cette nouvelle forme d'impérialisme. Le seul qui ait osé s'opposer aux évangéliques est Hugo Chavez. Il a notamment expulsé certaines églises qui voulaient s'implanter au Venezuela. Ce qui lui a vallu les foudres de Washington. Le télévangéliste Pat Robertson a carrément lancé un appel au meurtre de Chavez.
Je ne vous cacherai pas que je suis proprement révolté face à tout ça. Le pouvoir grandissant des évangéliques en Amérique Latine m'inquiête. Même si je nourrissais quelques reserves sur Hugo Chavez auparavant, je dois avouer qu'aujourd'hui c'est le dirigeant latino-américain qui a le plus de courage. Il est le seul qui ose braver cette Amérique triomphante qui se sent investie d'une mission divine à l'égard du reste du Monde. Loin de moi l'idée de tomber dans l'anti-américanisme primaire, mais je ne peux pas accepter qu'un pays, au nom d'un messianisme fanatique, tente de dicter sa loi aux autres, et surtout tente de satisfaire ses intérêts purement économiques. Et qu'on ne vienne pas me traiter de sale coco! Je suis simplement un mec révolté par l'injustice et l'exploitation de l'Homme par l'Homme. La lucha continua!